Je suis parti sans regret et sans avoir rencontré Karola. J’ai finalement trouvé un appartement dans un immeuble avec cour et balcons situé Dessewffy Utca. La chambre y est belle, avec planchers cirés, tapis et fenêtre ouvrant sur le patio. Mon hôtesse s’appelle Magdalena. Les odeurs de sa cuisine me mettent l’eau à la bouche.
Budapest, le pont de la Liberté sur le Danube. |
Tram 49 sur le pont de la Liberté. |
Sentier conduisant à la Citadelle et à la statue de la Liberté (femme brandissant une feuille de palmier géante). |
Sculpture au château de Buda. Le volatil au second plan est l'"oiseau de Turul", qui est, dans la mythologique hongroise, un messager de Dieu. |
Carrefour des rues Teréz et Vaci, à proximité de la gare Nyugati. |
Les sentiers brûlés montent vers la Citadelle. Au sommet de la colline de Buda se trouve la gigantesque femme de la liberté, tournée vers l’Est, et saluant le peuple frère du haut de son socle monumental. À ses pieds, les six ponts du Danube arriment Pest aux collines de Buda. Pest s’étale, noyée dans la brume et la poussière. Elle mijote et frémit sur l’eau du Danube en dégageant un fumet douteux. La femme de Buda, drapée dans son orgueil, n’en a cure. Son regard est trop haut, trop au loin, pour s’arrêter aux hommes qui s’agitent à ses pieds. Les deux villes feignent d’ignorer le délabrement de leurs trésors. La ville moyenne de Pest protège ses cours où se fomentent de nouvelles querelles. La ville moderne mélange l’arrogance des réalisations de prestige à la résignation des cités dortoirs. Trop longtemps niée, l’identité se relève meurtrie, brouillée. Le slogan à la mode est devenu “Raus communista, prima America !” qu’il est si facile de clamer maintenant avec morgue. Le commerce est euphorique. Il illumine les façades et envahit les places. Il y a belle lurette qu’on ne fait plus la queue devant les magasins d’alimentation mais devant la boutique Adidas, près de la place Engels. Restaurants et hôtels prestigieux, casinos et magasins de fourrures et d’électronique trouvent ici naturellement leur place. La nuit, les deux villes flamboient.
Les Bains Gellert, rue Kelenhegyi. |
Cour d'un immeuble d'habitation rue Calvin. |
Musée Franz Liszt, rue Vörösmarty. |
Le piano Chickering & Sons du compositeur. |
Budapest pue. Le capharnaüm de la circulation soulève la poussière d’amiante et vomit des nuages qui me suffoquent. Le bruit, l’agitation, la foule, me renvoient à ma solitude oppressante et à la vanité de mes propres gesticulations. Venu faire quoi, ici ? Pour le piano de Franz Liszt, au 35 de la rue Vörösmarty, le Chickering and Sons créé spécialement pour lui ? Les lettres de Cosima von Bülow, de Wagner, de Carolyn ? Pour la photographie de Blandine ?
Façade 3, place Martinelli (aujourd'hui Szervita). |
Metroklub, à l'angle des rues Dohany et Sip |
Magasin rue du Capitaine Steinmetz. |
Marché Kossuth. |
Sta-Lin ! Ra-Ko-Zi ! Exposition sur le stalinisme en Europe de l'Est. Magyar Nemzeti Muzeum. |
Now Everybody (for R. W. Fassbinder), Robert Longo, 1982-83. Magyar Nemzeti Galeria. |
Le Génie de la Mort, Donath Gyula (1850-1909). Magyar Nemzeti Galeria. |
Joue, Tzigane, Joue ! de Huszar Adolf (1842-1885). Magyar Nemzeti Galeria. |
Fontaine Danubius, Erzsébet tér (place Elisabeth). Les trois femmes s'appellent Tisza, Dravaet Sava et représentent trois rivières de Hongrie. |
Kiskirálylány (Petite Pincesse) de Laszlo Marton (1925-2008). Promenade Dunacorso. |
Luc, un soir que nous regardions avec désespoir notre bouteille de vin vide : « Sais-tu pourquoi les Hongrois ne trinquent jamais en buvant de la bière ? Uniquement avec du vin. Par fidélité envers les chefs révolutionnaires exécutés par les Habsbourg. » Luc évoquait l’époque où le puissant empire austro-hongrois s’efforçait de germaniser le pays. En mars 1848, au grand dam de François-Joseph, les Hongrois avaient proclamé unilatéralement l’autonomie du pays. Les deux héros de cette révolution étaient Sàndor Petöfi, un poète, et Lajos Kossuth, qui adressa les revendications hongroises à l’empereur d’Autriche après voir traversé le pays en appelant la population au soulèvement. François-Joseph passa alliance avec le tsar Nicolas 1er pour écraser les révolutionnaires. Leurs chefs furent exécutés. À chaque fois qu’un condamné mourait, les Autrichiens trinquaient à la bière. « Et c’est pourquoi les Hongrois ne trinquent plus à la bière », affirmait Luc avec tristesse. Mais on dit aussi par ici que Kossuth, ayant trouvé l’asile politique en Bulgarie, arriva avec, dans son bagage, la recette du brassage. Et c'est ainsi que Shoumen, ville musulmane de Bulgarie, devint célèbre pour ses bières. Kossuth fut ensuite déporté en Asie Mineure par les Ottomans. L’histoire ne dit pas s’il a contribué là-bas à la fortune des brasseurs. « Rasade, chère rasade ! », avait conclu dans un soupir mon ami Luc.
Continuer. Prendre le train pour Bucarest. Le contrôleur qui taxe le voyageur d’un supplément de cent florins. Un compartiment où il est seul alors que, curieusement, le reste du train est bondé. Un compartiment qui sent la transpiration, les relents de bière, les vieux mégots, l’urine et la saucisse chaude. Voyager toute la nuit et une partie de la matinée et arriver enfin à Bucarest.
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