Depuis quelques minutes, le train roule en URSS. Le passage sans encombre de la frontière, sans même un contrôle des bagages ou le moindre petit interrogatoire, me laisse déçu. Nous traversons des espaces fermés par d’immenses forêts de bouleaux et d’épicéas. Une pluie fine dessine des sillons aux cours imprévisibles sur les vitres. La nature qui défile fait grise mine. Pour en rajouter une couche à mon humeur maussade, un de mes deux appareils photo s'est bloqué. Il faudra que j'en trouve un autre. Les appareils russes ne sont pas si mauvais. Un village rassemble quelques maisons de bois. Deux vaches blanches et noires sur un carré d’herbe nous regardent passer, le museau au vent, avec une expression d’indulgence dans le regard. Des poteaux agrippent une myriade de câbles et une canalisation de bon gabarit passe par là. Ces bons vieux tuyaux du socialisme, omniprésents dans les villes et les campagnes !
Leningrad, hôtel Moscou. À l’arrivée du train en gare de Finlande, une petite foule s’empresse sur le quai. À peine ai-je mis un pied à terre qu’un homme s’approche, tenant à la main un grand parapluie. Il s’adresse à moi dans un français impeccable. Posté à l’endroit exact de mon compartiment, il m’attendait. Il me conduit à une grosse Volga noire dans laquelle attend un chauffeur. Je n’ai le temps de me rendre compte de rien que celui-ci se saisit de mon bagage, me pousse sur la banquette arrière et se met au volant. Donnerwetter, que se passe-t-il ? C’est un petit chauffeur qui mène avec brio sa lourde voiture dans les rues presque désertes. Il se marre en me jetant des coups d’œil dans le rétroviseur. Nous roulons longtemps, en suivant un itinéraire compliqué, empruntant de larges avenues bordées d’immeubles gris. Il ne neige pas. Il ne fait même pas froid. Enfin, nous arrivons devant un grand entrepôt vertical. Le chauffeur arrête son véhicule et annonce : « Hôtel Moscou ». Sans me laisser le temps de conclure ma réflexion à propos de l’importance du pourboire à lui laisser, il dépose mon bagage et file. Aussitôt la porte de l’hôtel franchie, un réceptionniste me prend en charge et entreprend de m’expliquer dans le détail le fonctionnement policé de l’hôtel. Quatrième étage. À chaque étage se trouve un bureau derrière lequel officie la gardienne d’étage. La chambre est simple, fonctionnelle et confortable. J’allume la télévision. La première chaîne diffuse une série américaine. La traduction est incomparable. Une seule voix, changeant d’intonation selon le personnage et la situation, traduit les dialogues dont on continue d’entendre la version originale en arrière plan sonore. Sur l’autre chaîne, folklore et musique traditionnelle. Le téléphone sonne. Une voix féminine, pleine de suavité. Est-ce que, par hasard, j’aurais des cigarettes blondes ?
– Ou-oui. J’ai des cigarettes, oui.
– Vous bien vouloir offrrrir moi quelques ?
– Mais madame... qui êtes-vous ?
– Chambrrre 4065. Vous venir de où ?
– Je suis français, mais...
– Oh ! frrrench man ! Karacho. Vous pouvoir venir tout de suite ?
– Comment savez-vous que...
– Je attendrrre vous chambrrre 4065. Davaï.
Je jette un coup d’oeil au miroir au-dessus du lavabo, sors, cherche la chambre, m’arrête devant le numéro, hésite une instant. « Frrrench man ». Je frappe.
Une femme en déshabillé rouge transparent m’ouvre la porte. Un décolleté saisissant laisse deviner une gorge. Que dis-je une gorge ! Je me retrouve en proie à un violent remue-ménage cardio-vasculaire. Il va de soi que l’étoffe transparente et froufroutante donne à voir de longues jambes gainées de noir. Je suis troublé. J’ai devant moi la belle Tania. Je lui tends mon paquet de cigarettes. Elle fait la moue. Quoi, qu’est-ce qu’elles ont mes cigarettes ? Elle se présente. Tania réside habituellement à Moscou où elle est économiste. Elle est en visite à Leningrad et préfère les Malboro, celles de la publicité avec le cow-boy.
– Je pas aimer la SSSR, dit-elle. Moi aller Amérique ou Australie.
En parlant, elle fait de curieux mouvements de tête, remue ses lèvres et bouge ses jambes, ce qui a pour effet de les dévoiler complètement. Des Malboro, hein !
– Ici pas bon système, fait-elle, têtue. Nie svabodi. Pas la liberté.
– Chuttt, ne parlez pas si fort, dis-je en regardant avec inquiétude du côté de la porte.
Elle part d’un rire sonore en aérant ses cheveux noirs bouclés. Par la fenêtre, je vois les immeubles de Leningrad, éclairés de lumière jaune comme des monuments historiques.
Éternel Printemps, variante du Baiser (1890), marbre, Auguste Rodin (1840-1917), Musée de l'Ermitage. |
Enfant sur un dauphin, marbre, Lorenzo Lorenzetto (1490-1541), Musée de l'Ermitage. |
L'Ermitage vu de l'autre côté de la Néva, district de Petrogradsky. |
Le Musée de l’Ermitage est une belle réussite féminine. Si c’est l’impératrice Elisabeth, fille de Pierre le Grand, qui le fit construire par le sculpteur italien Bartolomeo Rastrelli en 1754, c’est la Grande Catherine, la copine de Voltaire, qui, par ses innombrables acquisitions éclairées, en fit le grand musée d’art qu’il est aujourd’hui. On y trouve dans 120 salles des œuvres de peintres italiens, français, hollandais et flamands. Les Russes furent les premiers à s’intéresser aux Impressionnistes et c’est pourquoi on y trouve également une belle illustration du mouvement pictural français de la seconde moitié du 19e siècle.
Canal Zimnyaya, Musée de l'Ermitage. |
Nevsky Prospekt (Perspective Nevsky). |
Nevsky Prospekt, maison d'éditions musicales. |
Canal Griboyedova. Au loin, les tours de la cathédrale Saint-Sauveur. |
Devant le musée de la Marine, rue Birzhevaya. Colonnes dites "rostrales". Traditionnellement, le rostre ou l'éperon de navires capturés étaient installés sur ces colonnes. |
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