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Chendgu, novembre

Chendgu, enfant unique, © L. Gigout, 1990
Chengdu, avenue du Peuple. 计划生育政策計劃生育政策 Promotion de l'enfant unique.

Chendgu, pétards, Wenshu, © L. Gigout, 1990
Boutique de pétards près du temple Wenshu.


La rue est corporative. Il y a celle des charpentiers, celle des serruriers et celle des mécaniciens. Et il y a aussi la rue des tisserands, car Chengdu est la ville du brocart. On peut y voir encore fonctionner un très vieux métier mécanique actionné par deux ouvriers tisseurs impressionnants de précision. L’un, posté sur une sorte de nacelle de pilotage, commande à la cinétique cliquetante et grinçante de l’étrange machine. L’autre lance la navette et le motif chatoyant s’élabore fil après fil. Dans d’autres ateliers, des centaines de petites mains s’appliquent sur des carrés de soie grands et épais comme des feuilles de cigarette pour y broder des papillons, des oiseaux et des fleurs. Près de l’hôtel Jinjiang, avenue du Peuple, on trouve les plus beaux produits de l’artisanat d’art local : pierres taillées, longs couteaux tibétains à manche ouvragé, pipes à eau ciselées, petits objets en bambou et en roseau tressé, vêtements traditionnels, peintures classiques et contemporaines, estampes sur papier de riz. Le soir, les marchands d’estampes investissent les trottoirs à la manière des bouquinistes du quai des Grands-Augustins. Des lampes à pétrole éclairent les peintures représentant la nature et les paysages karstiques de Yangshuo. L’eau, les montagnes calcaires, la végétation et le ciel sont des thèmes récurrents. Les estampes répondent à des règles strictes de composition : l’eau jaillit de la montagne en cascade et se répand en lacs miroitants noyés dans la brume. Les sommets émergent et touchent les nuages, symboles du vide.



Chendgu, Wenshu, © L. Gigout, 1990
Dans le monastère Wenshu. Mât des Mille Boddhisattvas. En métal, 22 mètre de haut. Agitées par le vent, ses petites clochettes tintent mélodieusement.

Chendgu, Marquis de Wu, © L. Gigout, 1990
Fenêtre aux environs du temple Marquis de Wu.



À la poste de Chengdu, je vais relever mon courrier en poste restante et laisser un message pour Hervé et Marie qui m’avaient dit se trouver ici passés les premiers jours de novembre. Alors que je patiente au guichet de l’International, j’entends un sonore « Louiiis !... ». Lieze et Koert sont aux prises avec de vieux formulaires de douane rédigés en français. Je suis heureux de les revoir et leur sourire me fait plaisir. Mais où est Arina ?



Chendgu, jardin botanique, © L. Gigout, 1990
Dans le Jardin botanique.

Chendgu, jardin botanique, © L. Gigout, 1990

Chendgu, jardin botanique, © L. Gigout, 1990

Chendgu, jardin botanique, © L. Gigout, 1990

Chendgu, Mao, Avenue du Peuple, Palais des Expositions, © L. Gigout, 1990
Devant le palais des expositions, Avenue du Peuple.

Chendgu, Avenue du Peuple, Palais des Expositions, © L. Gigout, 1990
Derrière le palais des expositions (Xue Tao ?).

Chendgu, Marquis de Wu, © L. Gigout, 1990
Arbres à proximité du temple du Marquis de Wu.

Chendgu, Jardin botanique, © L. Gigout, 1990
Ceps dans le Jardin botanique.

Chendgu, Du Fu, © L. Gigout, 1990
Statue du grand poète Du Fu, Du Fu Thatched Cottage.



Du Fu. Je suis allé retrouver Arina au Collège de Médecine. Nous visitons ensemble le parc dans lequel se trouvent la chaumière et le temple du grand poète. Le vaste parc est pourvu d’innombrables pavillons, d’allées bordées de bambous, de canaux enjambés par des ponts de pierres ou de bois. L’automne y a beaucoup de charme.

La rosée est blanche, le millet doit être mûr
de le partager autrefois tu m’as fait la promesse
il est même sans doute déjà pilé fin
je commence à trouver l’envoi tardif
son goût est différent de celui du chrysanthème doré
son parfum se marie à celui du tournesol vert
du vieillard il a toujours été le favori
rien que d’y penser, tombe ma cuillère

En 757, après avoir été fait prisonnier et assisté au massacre des princes à la fin du règne de l’empereur Xuanzong, Du Fu vit sa vie menacée pour avoir défendu un ami en disgrâce. Il quitta Jinzheng où il faisait commerce de simples et s’installa à Chengdu avec sa famille. À l’aide d’un ami, il construisit une chaumière, au bord de la "Rivière où se rincent les fleurs". Des sentiers de terre sableuse tissent un réseau de fils compliqués entre les bosquets, les petits arbres maigres aux feuilles fatiguées, les hauts cyprès et les cèdres faisant un écrin de végétation aux pavillons de bois marron sur assise blanche. Ils abritent des stèles noires sur lesquelles sont gravés les idéogrammes des poèmes de Du Fu et des salons de thé où se retrouvent les visiteurs impassibles, pour boire à petites gorgées dans des porcelaines bleues, l'incomparable thé du Sichuan. Je marche dans les allées en compagnie d’Arina.




Chendgu, Li Qinzhao, © L. Gigout, 1990
Peinture sur papier de riz illustrant le poème Tristesse de l'absence de Li Qinzhao. Auteur inconnu.

紅藕香殘玉簟秋。輕解羅裳,獨上蘭舟。
云中誰寄錦書來?雁字回時,月滿西樓。
花自飄零水自流。一種相思,兩處閒愁。
此情無計可消除,纔下眉頭,卻上心頭。


Tristesse de l'absence

Le parfum du lotus s'efface dans le froid de l'automne, laissant une tache rouge sur les rideaux miroitants.
Doucement je retire ma robe en soie et demeure nue et seule sur le bateau d'orchidée.
Une lettre me viendra-t-elle d'au-delà les nuages ?
Les oies sauvages écrivent d'étranges idéogrammes dans le jour déclinant alors que la lune inonde ma chambre.
Les pétales des fleurs dérivent et se dispersent au grès des courants.
Après s'être divisées, elle se rejoignent en aval.
Alors que vous et moi demeurons l'un de l'autre à jamais séparés.
En cet instant, toute joie bannie de mes yeux, la tristesse m'envahit et mon cœur se brise.


(Traduction approximative tirée de plusieurs versions anglaises dissemblables.)
 
Li Qinzhao (1080-1151) est considérée comme une des grandes poétesses de la poésie classique chinoise. Elle a notamment laissé un recueil de poèmes à chanter. Tristesse de l'absence fait partie des pièces composées après la mort de son mari, dans lesquelles elle exprime avec force la douleur de la séparation et de l'exil.







Le temps est gris, humide et doux. Par l’intermédiaire d’un cuisinier du restaurant dans lequel j’ai pris l’habitude de me rendre pour le petit déjeuner, j’ai rencontré des camionneurs faisant régulièrement la route de Chengdu à Lhassa. Il y a deux routes qui rejoignent Lhassa à partir des autres provinces chinoises : celle-ci et celle de Golmud, bien plus au nord, dans la province du Qinhaï. La route partant de Chengdu est la plus longue, deux mille cinq cents kilomètres. Les camions mettent quatre jours, deux chauffeurs se relayant pour rouler jour et nuit. C’est aussi la route la plus dangereuse car elle est en mauvais état et traverse les montagnes du Minya Kongka par des cols à plus de quatre mille mètres d’altitude. Je retourne au Bureau de la Sécurité. À ma grande surprise, les agents me disent que le Tibet est ouvert, que l’accès à Lhassa est libre et qu’il n’y a pas de problème si je passe par le CITS, l’agence chinoise locale.
–  Et par camion ? Can I go by truck ?
– May be. If you are lucky.
– Lucky ? What do you mean with that ?

Les camionneurs sont magnanimes. Ils m’écoutent attentivement mais quand je leur demande une réponse, ils hochent la tête dans le mauvais sens. Le jeune homme qui m’accompagne traduit que je suis disposé à y mettre un prix raisonnable. Ce n’est pas une question d’argent, me répondent- ils. Le gouvernement leur a interdit de prendre des passagers occidentaux. Il y a eu des accidents. Un touriste américain a été tué sur cette route et cela a fait des complications diplomatiques. C’est devenu trop dangereux pour eux.








Alors que les deux Français ont décidé de se rendre à Lhassa par avion en passant par le CITS, je m’obstine à vouloir y aller par la route. Et puisque cela ne marche pas à Chengdu, nous essayerons à Golmud ! Je dis nous car j’ai rencontré à l’hôtel une solide Germanique à l’abondante chevelure blonde bouclée, une sorte de Brunhild échappée des Nibelungen. Katharina, de Hambourg. Elle s’est montrée résolue à m’accompagner quoi qu’il arrive.

Pour mes jeunes demoiselles, j’ai acheté une flûte de bambou et des petits peignes de bois ciselé, une cassette de chansons chinoises à la mode, des tampons gravés en tête de tigre, un batik, une bouteille de vin chinois pour leur maman et un assortiment de graines et de friandises.








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