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Jinan & Nankin (Nanjing), octobre

Jinan, Huang He, Fleuve jaune, © L. Gigout, 1990
Huang He, le Fleuve jaune.

C’est un dimanche après-midi et la circulation sur l’avenue Jiluo est dense. J’arrive à un autre grand parc vers lequel convergent la plupart des cyclistes. Un convoi de side-cars occupés par des militaires passe à vive allure. Le véhicule de tête agrémenté d’un drapeau rouge flamboyant ouvre la voie à grand renfort de coups d’avertisseur. Je continue jusqu’à une ceinture d’habitations aux toits de tôle ondulée. La route est continuée par un raidillon pavé. Quelques cyclistes ont entrepris l’escalade en poussant leurs bicyclettes. Je les imite. Le chemin mène au sommet d’une côte. De l’autre côté, un large fleuve de boue s’étire d'est en ouest dans son lit limoneux. Le Fleuve Jaune ! Huanghe, “fléau des fils de Han”. Quelques hommes sont assis sur les remblais à regarder le fleuve. D’autres suivent la piste de la levée en poussant leur vélo. Les rives sont incertaines. Une bande plane, couleur cuivre, part du pied de la levée et se dissout dans le fleuve. J’ai l’impression de marcher sur un tapis caoutchouteux. Des enfants s’amusent à sauter sur place pour casser la croûte molle comme celle d’un camembert et leurs jambes s’enfoncent jusqu’aux genoux dans la substance boueuse. Un train s’engage sur le pont dans un grondement de ferrailles. Vers l’est, des tours de refroidissement émergent du paysage et laissent échapper des volutes de vapeurs blanches. Le ciel est bleu. Le soleil de ce premier jour d’octobre est encore chaud. Le fleuve a l’air paisible. Vigoureux, certes, mais sage. On ne dirait pas en le regardant qu’il découche à la moindre ondée. Il paraît que, ces dernières années, son lit s’est surélevé de quatorze mètres, ce qui fait qu’il domine maintenant les quartiers Nord de Jinan. Il a fallu élever cette colline artificielle pour protéger la ville de ses caprices. Les rives sont formées de strates de limon faiblement dénivelées. Le pont ferroviaire métallique est gardé par des militaires. En amont se trouve une amorce de digue. Des bateaux rouillés et des péniches stationnent. Un bac fait le va-et-vient d’une rive à l’autre avec sa cargaison de cyclistes.


Jinan, Huang He, Fleuve jaune, © L. Gigout, 1990

Jinan, Huang He, Fleuve jaune, © L. Gigout, 1990

Jinan, Huang He, Fleuve jaune, © L. Gigout, 1990

Jinan, Huang He, Fleuve jaune, marnes, © L. Gigout, 1990
Marnes sur les rives du fleuve.

Jinan, Huang He, Fleuve jaune, marnes, © L. Gigout, 1990

Jinan, Huang He, Fleuve jaune, marnes, © L. Gigout, 1990

Jinan, Huang He, Fleuve jaune, © L. Gigout, 1990
Le bac en direction de Queshannancun.

Jinan, Huang He, Fleuve jaune, © L. Gigout, 1990

Jinan, Huang He, Fleuve jaune, marnes, © L. Gigout, 1990

Jinan, Huang He, Fleuve jaune,  © L. Gigout, 1990


Pour traverser le fleuve, le bac se place suivant un angle de quarante-cinq degrés par rapport à sa trajectoire, le moteur diesel poussé à fond. Paisible, le Fleuve Jaune ? Des mouvements circulaires à sa surface trahissent les remous puissants qui l’habitent. Les paysans transportent des volailles accrochées en grappes à la selle de leur bicyclette. Arrivé de l’autre côté du fleuve, je continue par une petite route goudronnée montant vers un village. Des paysans l’utilisent comme aire de battage, étendant la paille sur l’asphalte. Les rares véhicules à moteur roulent sur la récolte, contribuant ainsi au battage. Les paysans retournent la paille, la foulent à l’aide d’un cylindre et tamisent les graines dans le vent. Je les regarde faire en pensant aux moissons de l’été, aux champs de blé, d’orge ou d’avoine et aux battages d’hiver, à la chaîne formée par les saisonniers, des passeurs de gerbes juchés au sommet du tas sous le hangar aux porteurs de sacs.



Jinan, Queshandongcun, moissons, riz, © L. Gigout, 1990
Moissons.

Jinan, Queshandongcun, moissons, riz, © L. Gigout, 1990

Jinan, Queshandongcun, moissons, riz, © L. Gigout, 1990

Jinan, Queshandongcun, moissons, riz, © L. Gigout, 1990

Jinan, Queshandongcun, moissons, riz, © L. Gigout, 1990

Jinan, Queshandongcun, moissons, riz, © L. Gigout, 1990


Jinan, Queshandongcun, moissons, riz, © L. Gigout, 1990

Jinan, Queshandongcun, moissons, riz, © L. Gigout, 1990

Jinan, Queshandongcun, moissons, riz, © L. Gigout, 1990

Jinan, Queshandongcun, moissons, riz, © L. Gigout, 1990

Jinan, Queshandongcun, moissons, riz, © L. Gigout, 1990

Jinan, Queshandongcun, © L. Gigout, 1990
Queshandoncun.

Jinan, Queshandongcun, © L. Gigout, 1990


Plus tard, installé au sommet d’un rocher surplombant la plaine, je contemple la boucle du fleuve et Jinan. Un village est à ma gauche. Les maisons sont constituées de murs de pierres et de terre. Les toits forment des terrasses sur lesquelles le maïs est mis à sécher. Le village est calme. Des vaches paissent en compagnie de quelques chèvres, un chien galeux se faufile. Une femme fait tremper son linge dans l’eau d’un étang. Sur la droite, se trouve un autre village n’ayant rien de commun avec le précédent. Rues rectilignes, maisons de briques, identiques les unes aux autres. Systématisation à la chinoise. Un avion supersonique déchire l’azur de sa trace blanche. Une sauterelle verte joue à la starlette pour que je la prenne en photo. Comme un enfant, se remplir les yeux du spectacle offert. Respirer avec jouissance l’air chaud et parfumé.



Jinan, Queshandongcun, © L. Gigout, 1990
Village "systématisé" de Queshannancun.

Jinan, Queshandongcun, sauterelle, © L. Gigout, 1990
Une sauterelle verte.

Jinan, Queshandongcun, © L. Gigout, 1990
Passage entre deux eaux.


Mardi. Douceur des soft-sleepers chinois. Diffusée par haut-parleur, la voix aérienne d’une chanteuse à la mode s’enroule autour des battements assourdis du rail. J’ai acheté pour mon dîner quelques brioches et de la bière Huanlong de Longkou. Les autres occupants de la voiture aspirent leur Souchong et font la navette dans les couloirs le bocal à la main.

Au petit matin, c’est l’arrivée dans l’ancienne capitale intellectuelle de la Chine du Sud. Nankin, centre de rayonnement du bouddhisme, berceau du “Royaume du Ciel” des Taïping, haut lieu de luttes entre les nationalistes du Kuomintang et le mouvement ouvrier et ville martyre de la guerre sino-japonaise. Le Royaume du Ciel. Où était-il allé chercher qu’il était le second fils de Dieu, égal au Christ en dignité ? Un bon exemple de l’utilisation de la religion pour asseoir son pouvoir temporel et subjuguer les masses. Hong Xiuquan créa un mouvement révolutionnaire mystique, une sorte de néo-christianisme radical, qui déboucha sur la “Grande harmonie”, autrement dit la plus grande guerre paysanne de l’histoire de l’humanité. Entre 1850 et 1870, la Chine entière se retrouva à feu et à sang et de vingt à trente millions de personnes périrent. Un siècle plus tard, les troupes nationalistes du Kuomintang se concentraient à Nankin avant d’écraser le mouvement ouvrier. Le Japon en profita pour procéder à ce que l’on appellera plus tard le “Viol de Nankin”.




Nankin, Yangtze, Wufu, rizières, © L. Gigout, 1990
Rizières le long du Yangtze vues de Wufu à Nankin.

Nankin, Yangtze, Wufu, rizières, © L. Gigout, 1990

Nankin, Yangtze, Wufu, © L. Gigout, 1990

Nankin, Yangtze, Wufu, carrelet, © L. Gigout, 1990
Carrelet de pêche sur les bords du Yangtze.

Nankin, Colline de Pourpre et d'Or, Mausolée de Sun Yat sen, © L. Gigout, 1990
Sur la Colline de Pourpre et d'Or, le Mausolée de Sun Yat Sen (Sun Zhongshan).


La ville est environnée de collines boisées de cèdres. Chacune d’elle est un lieu de célébration de l’Histoire. Sur la “Colline de la Pluie des Fleurs” (la poésie des toponymes chinois...), un monument rappelle le souvenir des martyrs de la Révolution. La légende dit que des fleurs miraculeuses se sont mises à pleuvoir lors d’une cérémonie bouddhique au VIe siècle. Avec le temps, les fleurs sont devenues des cailloux colorés que l’on peut acheter comme des bouquets de premier mai sur le bord des routes et dans les magasins de souvenirs. Sur la “Colline de Pourpre et d’Or”, un grandiose monument est dédié à la mémoire de l’enfant du pays. Sun Yat-sen organisa à Canton le soulèvement révolutionnaire contre la dynastie mandchoue, en 1911. Il créa la République chinoise avant d’être contraint à l’exil par les Seigneurs de guerre. Sun Yat-sen est devenu Zhongshan, la “Montagne du Centre”, et sa mémoire est célébrée dans toutes les grandes villes chinoises.



Nankin, Parc Mochou, © L. Gigout, 1990
Lotus et pavillon dans le Parc Mochou.

Nankin, Parc Mochou, Dame Sans-Souci, © L. Gigout, 1990
Dame Sans-Souci. Des soucis, la jeune et belle dame en avait a revendre. Enlevée par un général, prison dorée, séparée de son amoureux, elle s'est noyée dans le lac.

Regardant l’eau d’un air songeur, la femme blanche se tient au centre du bassin. « Dame Sans-souci », murmure Li, rompant le silence. Depuis la Colline de la Pluie des Fleurs qu’il me suit, Li s’est contenté de me dire qu’il s’appelle Li. Il m’accompagne sans un mot dans mes pérégrinations dans les collines. Alors que je m’amusais du spectacle d’une locomotive à vapeur qui, passant sous une passerelle, enveloppait les piétons qui s’y trouvaient dans un nuage de fumée, il demeurait étrangement inexpressif, le regard vide. Au pied de la statue de marbre blanc, la silhouette de la femme blanche se reflète dans son linceul. Triste comme un enfant perdu, Li cherche le contact de ma main.


Nankin, Parc Mochou, dragon, © L. Gigout, 1990
Tête de dragon en bronze dans le parc Mochou.

Nankin, Parc Mochou, dragon, © L. Gigout, 1990








Dans le train entre Nankin et Shanghai, un jeune Chinois me propose de partager de grosses poires rondes à la chair craquante et des œufs durs. Ce ne sont pas des œufs durs ordinaires. Après avoir été cuits, leur coquille est brisée et ils sont mis à mariner dans un mélange aromatique. Une fois décortiquée, la matière blanche est striée de lignes brunes et l’œuf est délicatement parfumé. Le jeune homme achète une crème glacée et me l’offre. Nous communiquons par gestes ou avec l’aide de mon guide de conversation. Il a vingt-deux ans, il habite à Changsha et il est conducteur de locomotives. Plus tard, un autre passager nous rejoint. Celui-là parle anglais et m’explique qu’il travaille pour une société d’import-export de matériaux sidérurgiques de Nankin. La province du Jiangsu est une zone économique expérimentale et la recherche de partenaires occidentaux est vivement encouragée. Il serait ravi si je pouvais l’introduire dans les milieux industriels français. Moi, je veux bien faire plaisir à tout le monde. Dans la sidérurgie ? Je lui promets d’en parler à mon oncle, retraité de la Société des Aciers Fins de l’Est où il faisait les trois-huit comme pontonnier.

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