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Amsterdam, juillet

Amsterdam, Ruyterkade, le Guetteur, Pieter Starreveld, Stoomvaart Maatschappij Nederland, Javakade, © L. Gigout, 1990
Ruyterkade, le "Guetteur" du port d'Amsterdam. Monument érigé par Pieter Starreveld en 1950 à Java en mémoire du personnel de la Stoomvaart Maatschappij Nederland. Elle sera plus tard (en 2003) installée sur Javakade.

Amsterdam, Noord 7, trois-mâts, © L. Gigout, 1990
Trois-mâts devant la zone pétrochimique de Noord 7.

Amsterdam, Noord 1, © L. Gigout, 1990
Le port d'Amesterdam, Noord 1.

Amsterdam, Noord 1, © L. Gigout, 1990


Amsterdam, Gravenstraat, © L. Gigout, 1990
Gravenstraat.

Amsterdam, hôtel Arrivée, © L. Gigout, 1990
Hôtel Arrivée, Haarlemstraat.



Mon premier hôtel s’appelle Arrivée et se trouve dans Haarlemerstraat, à cinq minutes de la gare. J’occupe une chambre minuscule que je partage avec deux autres locataires : Heinz le Magnifique et Bryan. Les couvertures des lits sont trouées par les mégots des cigarettes, il y a des graffitis obscènes aux murs et les vitres de la lucarne que le bois gonflé par l’humidité interdit de fermer sont cassées. Bryan est nonchalant et un peu négligé, expansif et souriant. Originaire du Surinam, ça fait dix ans qu’il traîne sa bosse en Amérique du Sud, aux États-Unis, en Angleterre et en Hollande. Il n’a plus le droit de revenir au village pour une raison impossible à divulguer. Il cherche un endroit où se fixer et fonder un foyer. Heinz, la cinquantaine bien entretenue, est un homme précieux et énigmatique, toujours à lisser ses cheveux. En rentrant de son travail de l’autre côte du Het-Ij, le soir, il prend une douche, se coiffe avec soin, enfile une chemise hawaïenne, un costume léger et il sort.


Amsterdam, Jodenbreestraat, © L. Gigout, 1990
Jodenbreestraat. Arrière plan : la tour Montelbaan.


Becanus, il s’appelait Johannes Goropius Becanus ! Il affirmait sans rire que le flamand n’était rien moins que la langue originelle, celle que parlaient Adam et Ève dans le jardin d’Éden. D’ailleurs, Adam ne venait-il pas de Haat-Dam (digue contre la haine) et Ève de Eu-Vat (le tonneau d’où vient l’homme) ? Pour lui, le paradis terrestre était donc situé dans les Flandres. Comme il était aussi sujet du roi d’Espagne, il n’hésita pas à affirmer par ailleurs que la couronne d’Espagne avait, pour des raisons bibliques, des droits sur l’Afrique atlantique et les Amériques. Pas terrible, la météo du paradis flamand. Il pleut sans discontinuer depuis ce matin. Je me réfugie dans un bruine kroeg de Houtkoperdwars Straat. Si l’on appelle ainsi ces "cafés bruns", c’est que le bois qui habille les murs garde le souvenir, dit-on, des exhalaisons de toutes sortes de pipes qui lui donnèrent sa patine, satinant les lambris d’un pigment bistre. Parfumé à la réglisse, le scaferlati blond compose avec la bière l’indispensable ferment des discussions des hommes d’Amsterdam. Les jeunes leur préfèrent les clinquants coffee shops aux musiques acides. Portant cuir, chaînes et anneaux métalliques, ils affichent avec élégance leur appartenance au post-punk. Les cheveux se coupent en damier, alternant le court et le long et les couleurs. Venus de partout, ils sont ici chez eux, comme en témoignent les airs entendus qu’ils prennent en vidant leurs boîtes de bière. Dans les ruelles, derrière les vitrines entre cafés bruns et coffee shops, tassées dans leurs bonbonnières comme des phénomènes de foire, j’ai vu les dames. J’ai pas vu Dieu. Regardez autour de vous, m’a conseillé le patron de l’hôtel, cheveux longs bouclés et lippe espagnole. « Deus sive Natura. »



Amsterdam, Vondel, vélos et graffitis, © L. Gigout, 1990
Vélos et graffitis près du parc Vondel.

Amsterdam, © L. Gigout, vélo, 1990


Hier soir, tout l’hôtel s’était donné rendez-vous au bar. Finale de coupe du monde de Football Argentine-Allemagne. L’Allemagne a gagné sans soulever un enthousiasme particulier. Il faut dire que les gens d’ici gardent une vieille dent contre leur puissant voisin depuis le jour où celui-ci, sous un prétexte délétère, décréta la réquisition de toutes les bicyclettes d’Amsterdam pour en doter ses fantassins. Toucher aux vélos d’Amsterdam, quel irréparable outrage ! Dès lors, lorsqu’un Allemand montre ici le bout de son nez, on se chuchote d’oreille à oreille « Cache ton vélo ! ».



Amsterdam, Eeghenstraat, © L. Gigout, 1990
Façade dans Van Eeghenstraat. Il y a toujours un piano par là pour disposer ses notes mélancoliques comme des touches de couleur sur une toile impressionniste ou les syllabes détachées d’un poème oublié.

Amsterdam, Weteringschans, River Diamond Factory, © L. Gigout, 1990
Discrète façade de la River Diamond Factory, dans Weteringschans.

Amsterdam, Weteringschans, © L. Gigout, 1990
Vitrine dans Weteringschans.

Amsterdam, Canal Singel, ange, © L. Gigout, 1990
Un ange veille sur la ville, Canal Singel.

Amsterdam, Leidseplein, © L. Gigout, 1990
Musicien, Leidseplein.

Amsterdam, Leidseplein, © L. Gigout, 1990
Terrasse de café.


Épaulés par les quais, les canaux divisent la ville et coupent les rues à angle droit. Le ciel gris intimide les bateaux-mouches. Pas les cyclistes. J’ai vu passer à l’instant une jeune Batave sous la bruine. Elle menait son engin d’une main, tenant de l’autre un grand parapluie noir, bien droite et pédalant avec mesure. Sa jupe courte laissait voir ses longues jambes qui se pliaient et se dépliaient avec une régularité de métronome. La pluie vernissait le dôme du parapluie et les pavés. Les rails des tramways luisaient comme des fils d’argent. Elle était seule, avançant avec une tranquille détermination.



Amsterdam, Saint-Nicolas, trams, © L. Gigout, 1990
Trams devant la gare Amsterdam Central. Arrière plan : église Saint-Nicolas.

Amsterdam, trams, © L. Gigout, 1990

Amsterdam, trams, © L. Gigout, 1990

Amsterdam, trams, © L. Gigout, 1990


Je marche dans les rues de cette ville polychrome où dominent les bleus, les jaunes et les rouges. Dans le gris de juillet, le soleil est tombé sur les trottoirs et il a éclaboussé les enseignes des boutiques et les façades des maisons. Les tramways omniprésents et bariolés ressemblent à des peintures de Matisse qui glissent le long des rues. Je sillonne la ville, sautant de l’un à l’autre. Ils avancent sur leurs rails, tressaillant joyeusement sur les entrelacs ferroviaires. Ils se faufilent entre les canaux et les édifices doucement penchés qui s’appuient sur leurs pilotis comme des vieillards sur leur canne. Je suis parti.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde...



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