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Paris, début juillet 1990



Dans la vie duraille des chemins de fer, un intervalle de dilatation est un espace laissé vide (jeu) entre deux rails consécutifs. Si les rails étaient jointifs, par temps chaud, le chemin de fer deviendrait ondulé, ce qui est peu propice à la circulation des TGV. De la même manière, pour éviter les ondulations dans la vie humaine, il faut laisser des espaces vides (jeux) entre les rails du temps. Ce blog recense les "bonnes feuilles" du livre Syracuse publié en 2007 aux Éditions de l'Harmattan, accompagnées des photographies inédites de l'auteur.


L’appartement de Patrick à Montrouge, les autres commençant à me regarder bizarrement. Qu’auriez-vous fait à ma place ? Jeudi, enfin, je me suis décidé. Réalisant ainsi le premier acte concret de ce voyage, j’ai acheté un billet de train pour Amsterdam, abandonnant sur un quai de gare mes amours incrédules. Vous, espiègles et douces. Elle. Comme un arpenteur, je m’en vais prendre la mesure du monde. Je mets la clé sous la porte, je me barre, je plie bagage, je vide les lieux. Je décampe, je me trisse. Escapade, dérobade ou subterfuge ? Réaliser en l’exaltant cette aspiration devenue obsessionnelle, comme pour me libérer d’un boulet encombrant, expiatoire d’une faute imaginaire que j’aurais fini par me persuader avoir commise ? Partir vers une improbable Ithaque ou une secrète Atlantide comme on claque une porte, parce que quelque chose ne colle pas, n’a jamais collé. 



Paris, fourniment, © L. Gigout, 1990
Le fourniment digne d’un explorateur d’une époque révolue.


Une phrase était restée gravée sur mon disque dur, impossible à effacer. Elle surgissait toujours inopinément, murmurée par une Mnémosyne sortie des sixties, cheveux longs, minijupe, boots, chapeau à large bord. « Il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas... » C’était Jo, bien sûr, la ravissante amazone qui s’était décollé la rétine en tombant de cheval. La belle aventure, o-gué ! Trêve de ritournelles : voyager peut-il être encore une aventure ? Est-ce cela que je cherche, l’aventure ? Car si j’en aime bien l’idée, je suis bien trop frileux pour m’y risquer. Alors que signifie ce départ joué mélo pour un voyage annoncé avec la gravité convenant à une expédition périlleuse marquée au coin du secret ? Et que signifie ce sac que je trimballe avec moi et qui contient le fourniment digne d’un explorateur d’une époque révolue, allant du gilet en laine polaire à la culotte coloniale, sans oublier les capsules d’eau déshydratée pour le désert et un invraisemblable assortiment de médicaments supposés soigner les diarrhées, les constipations, les nausées, le paludisme, les bronchites, la fièvre jaune, les insolations, les maladies vénériennes et la gueule de bois ?


Paris, Gare du Nord, train Corail Paris-Amsterdam, © L. Gigout, 1990
Train Corail à Paris, Gare du Nord.

Paris, Gare du Nord, train Corail Paris-Amsterdam, locomotive, © L. Gigout, 1990
Et sa locomotive 1210 belge.